L'homme massacré

  • 02 Décembre 2023
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Beaucoup d’entre vous pensent que parce que je suis une femme et que je m’occupe principalement des femmes, je suis forcément une féministe qui lutte contre les hommes, que je les condamne, que je leur en veux d’être ce qu'ils sont.

En tant que femme je porte en moi la mémoire de l’homme massacré. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, plus j’ai apaisé ma vulve manifestée de femme, plus j’ai accueilli et guéri mon pénis d’homme non manifesté.

Aujourd'hui je sens en moi cet homme bander de toutes ses forces. Debout, il protège mes parts encore orphelines blessées. Mon pénis, il est comme le sabre du samouraï planté devant moi, gardien du grand mystère. Il est là, entièrement présent, repoussant tous les pilleurs.

Mais mon homme intérieur n’a pas toujours été debout. J’ai dû aller le chercher au fond de mes entrailles, dans la boue des tranchées pour qu’il me raconte son histoire. J’ai dû l'accoucher et accueillir ses pleurs de douleur.

En ce moment les femmes manifestent envers les hommes une haine qui n’a jamais été égalée. Nous, les femmes, nous les confondons avec le patriarcat. Mais ils en ont autant souffert que nous, sinon plus de cette aire patriarcale. Aujourd’hui je veux donner le micro à mon homme intérieur massacré. Il a besoin de pleurer, il a besoin de se dire pour se libérer des emprises du patriarcat.

“Merci Karine de me donner enfin le micro

Comment commencer?

Je me sens sidéré. Sidéré qu’on me donne enfin la parole. Je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas comment dire. Dès mon plus jeune âge, j’ai été coupé de mes émotions et de mes besoins les plus profonds.

Personne ne m’a appris… J’ai peur de mal dire, de mal comprendre, de mal faire. Ça fait mal depuis si longtemps que j’ai oublié que je souffre. En cuirassé dans des siècles de d'obéissance, j’ai appris à souffrir en silence.

On m’a appris à prendre les armes pour libérer ma patrie, à avoir le sens de l’honneur pour protéger mes frères d'armes. J’ai fait plusieurs guerres au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, mais j’ai rarement consenti. Personne ne m’a demandé mon avis. J’ai été emprisonné, contraint de me battre, j’ai tué, torturé, violé… tout ça pour protéger "Notre grande mère patrie". J’ai fait mon devoir en mettant mon humanité de côté et faire ce que l’on attendait de moi: Un bon petit soldat. J’ai dû survivre dans ce monde de brute en devenant moi même une brute.

Aujourd’hui les femmes clament leur #meeto et #balancetonporc. Elles font ce que nous n’avons pas pu faire à une autre époque, être libres et consentants dans nos corps vivants.

Qui s’occupe du grand viol psychique que nous avons vécu pendant toutes les guerres du siècle dernier?

Nous avons été formaté pour être de la chair à canon, manipulés et manipulables. Si tu voulais déserter, tu était abattu comme un chien. Nous sommes revenus en stress post-traumatique, retenant dans nos tripes les horreurs vécues là-bas.

Que croyez-vous qu'il se passait dans les tranchées et les prisons lorsque nous étions expatriés de force, loin de nos familles?

Parfois, nous nous sommes violés entre nous. Certains ne l'ont pas supporté. Nous sommes rentrés de l’enfer en le ramenant dans nos frocs.

Nelly, il fallait enfouir tout cela au plus profond de nous, comme des vieux sacs d’ordures. On nous a dit que les pédérastes allaient tous en enfer…

Que Dieu ait pitié de nous!

Pour avoir commis l’irréparable, le poids de l’enfer plane encore dans nos verges et nos "trous de balles".

Karine quand tu es sur le front, si tu écoutes tes émotions, tu es mort. Pour ceux qui sont rentrés, ils ont ramené les traumatismes dans la chambre à coucher. Ayant perdu toute notion d’humanité, nous avons violé nos propres femmes, nous les avons battues. Elles ne devaient pas découvrir l’horreur cachée dans nos chairs. Ce qui est le plus humiliant pour nous, c’est de nous rendre compte qu’elles n’ont pas eu besoin de nous pour survivre. Pendant les guerres, ce sont elles qui ont maintenu le pays à flot. Il a fallu retrouver une place au sein de nos familles dévastées par les deuils.

Et puis après chaque guerre, quand on est rentré, il a fallu recoloniser le pays. A cette époque on ne parlait pas de viols ni de consentement, il fallait juste repeupler un pays dévasté par la guerre. Nous avons engendré une succession de fils et de petits fils, sidérés, exsangue de toute notion de consentement.

Je pleure de rage…mais les larmes n'arrivent pas à couler.. tellement ma tristesse est sèche… comment me pardonner? Nous sommes des générations d'hommes massacrés au nom de la liberté.

Aujourd’hui, je fais ce que je peux. J'essaye d’être un bon père, un bon mari, de travailler dur pour maintenir ma famille à l’abri du besoin.

Quelque chose en moi croit que je dois tout réparer. Alors je me démène comme un fou. Personne ne reconnaît tous les efforts que je fais. J’ai tellement de poids sur les épaules.

Je dois bander, ne pas éjaculer, faire jouir, accueillir, sentir quand c’est oui et quand c’est non, écouter, donner le bain au petit dernier, ne pas donner mon avis, fermer ma gueule… et quand je l’ouvre on me dit que je suis violent.

Mais, ça fait des siècles que je ferme ma gueule et que je suis sidéré d’être un homme réduit à mon impuissance. Quand est-ce que l’enfer va s'arrêter?

Y a-t-il quelqu’un qui va enfin prendre le temps de m’écouter?

Y a-il enfin quelqu'un capable d'accueillir les horreurs enfouies au fond de moi?

Je suis continuellement critiqué, humilié, sur le banc des accusés. Je suis tellement sidéré que maintenant, quand je fais l’amour on me dit que je viole. Je suis perdu, je n’ai plus de repères. C’est toujours moi le méchant à abattre.

Ça me rend fou, fou de rage! Certains d’entre nous en viennent même à tuer leur femme, tellement cette rage est refoulée depuis des générations. Nous sommes en rage de ne pas savoir pleurer.

Cette emprise de la "Grande Mère patrie" sur mon sexe et ma vie , ne fait que me rappeller celle du ventre maternel.

Maman…je t'aime, trop, je t'aime mal...

Je suis encore enfermé dans notre amour infécond. Pourquoi ne veux tu pas accoucher de l'homme que je suis? Pour toi je suis, soit ton petit garçon soit ton grand sauveur. Je ne peux jamais être réellement moi et surtout jamais te décevoir.

Maman, tu veux faire de moi le symbole de ton homme idéal. Sache que je n'arriverai jamais à te combler. Tu tentes de vivre désespérément ton masculin par procuration à travers moi. Égoïstement, tu me veux toujours pour toi seule. Tu as évincé mon père de l'équation.

Maman, l'idée même de te décevoir m'est insupportable.Ton utérus a la peau dure et son emprise est fatale. Je n'ose pas te détester d'avoir construit tout autour de mes couilles une prison de chair.

Maman…laisse moi sortir, s'il te plaît, je t'en conjure, laisse moi être un Homme libre. Je n'arrive pas à te détester et le faire ça serait renier mon origine. Chaque fois que je pénètre une femme, je retrouve un temps soit peu notre unité perdue.

Karine, c'est si dur d'être un homme debout. Aujourd’hui, je n'ai plus besoin d'une mère. Pour me révéler en tant qu'Homme, j'ai besoin du cœur de la Femme puissante en toi.

Oui, j'ai peur…

J'ai peur de ta puissance de femme, de tes rugissements, de tes regards.

J'ai peur d'être vu tel que je suis et que tu ne puisses accueillir ma vulnérabilité.

J'ai peur du changement, je me sens si faible et vulnérable par rapport à toi.

Je ne me suis jamais senti aussi fragile. Saches que lorsque tu m'écoutes, ma vitalité renaît en toi.

Lorsque je guéris de mes blessures, je m'élève en toi.

Lorsque je m'exprime, je m'ajuste à tes besoins.

C’est par des ventres et des sexes apaisés que nous mettrons au monde cette nouvelle humanité. Ensemble construisons la grande ère de l’alliance du masculin/féminin

Nos hommes ont autant besoin d'être accueillis et libérés que les femmes.

Et toi as-tu déjà laissé s'exprimer les blessures du masculin massacré?

Les as-tu exorcisées et pansées?

Ressens-tu en toi, un homme castré avide de sa présence, ou bien l'alignement d'un homme puissant protecteur de ton intégrité?